Au premier abord, on n’en dirait pas grand chose. Elle est jolie, bien constituée, les cheveux longs poivre et sel. Quand elle se met à rire, on parle déjà d’autre chose. D’un coup, d’un seul, la joie éclate dans une expression franche et communicative sans aucune retenue. Elle vous regarde droit dans les yeux et exprime toute son humeur.
Virginie est de passage à Saint Martin, elle reste quelques semaines, peut-être plus, peut-être moins. Elle n’a pas de calendrier établi dans son tour du monde. Elle vivait depuis cinq ans en Guadeloupe quand elle a, enfin, pu mettre des mots sur ses maux. Après des années d’errance et de questionnement vivant avec la sensation de ne pas être normale, elle a fini par passer des tests particuliers. Avant les tests, elle ne comprenait pas pourquoi sa relation à l’autre était si compliquée. Elle regardait les gens évoluer avec aisance dans un monde qui lui semble, la plupart du temps, dénué de sens. Pour expliquer ce qu’elle vit, elle m’a proposé cette belle image : « imagine que je sois un paysan du 19ème siècle. Je suis tranquille dans ma petite maison, je cultive ma terre et d’un coup, je suis parachuté en plein milieu d’un carrefour du Tokyo d’aujourd’hui. ». Pour mieux enfoncer le clou, une anecdote à laquelle j’ai pu assister. Nous attendions de régler la note au bar, elle était debout derrière moi dans une position de statut grecque (ne demandez pas pourquoi, elle est comme ça. Parfois, elle fait des choses que nous ne comprenons pas.), se tenant les cheveux relevés au sommet de sa tête à cause de la chaleur. Un homme s’approche d’elle, et imite sa position en lui demandant plein de malice si ce n’est pas trop difficile de tenir la pose. Elle bafouille quelque chose, l’homme tente différentes approches et laisse tomber. En sortant du bar, elle me demande si je peux lui expliquer pourquoi il est venu lui parler comme ça. Quelle était l’intention ? Toutes les personnes présentes auraient pu répondre en cœur « mais pour te draguer ! », la tentative de cet homme était sans ambigüité, limpide mais elle ne peut pas comprendre ce genre de manège social. Les autistes ont du mal à décoder les expressions faciales et les intentions qui ne sont pas clairement explicitées. Ils ont aussi beaucoup d’autres particularités…
Nous avons communément, de l’autisme, une vision très cinématographique. L’enfant enfermé dans sa bulle, qu’on ne peut pas toucher et qui se balance sur lui-même toute la journée en bavant ou le génie un peu benêt qui peut vous dire en un quart de seconde combien il y a d’allumettes dans le bocal que vous tenez en main. Pour résumer grossièrement (mais pas tant que ça), des gens malades et inadaptés. L’autisme n’est pas une maladie, c’est une particularité neurologique comme les DYS, les TED, le HP… Virginie se situe quelque part sur le spectre autistique, précisément du côté du Syndrome D’Asperger. Elle n’est ni folle, ni malade. Elle n’a pas besoin que vous articuliez mieux (sauf si vous avez une grosse barbe et que vous parlez dedans !), elle n’a pas besoin qu’on gère sa vie pour elle. Elle est tout simplement différente, « neuroatypique». Là haut, dans sa tête, elle n’est pas calibrée comme vous mais elle a des compétences innées complémentaires. La « neuroatypicité» n’empêche pas les gens de vivre, elle leur donne la possibilité extraordinaire d’aborder les choses sous un autre angle. Certains grands groupes mondiaux recherchent ce genre de profil parce qu’en donnant à ces gens la possibilité d’exprimer pleinement leurs potentiels sans essayer de les faire cadrer au modèle général, on laisse une chance au groupe de s’enrichir d’une vision différente, de s’aventurer sur des terrains originaux et non encore conquis. Virginie est une femme autiste, elle envisage le monde différemment mais quand on voit comment le monde la traite parfois, assurément ce n’est pas elle le problème. _NB
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